INTERVIEW Florence Blankson, présidente du Fair Trade Ghana Network : « Pendant combien de temps encore les producteurs de cacao seront-ils encore contraints de vivre dans la pauvreté et ne jamais bénéficier de l’effort de son travail ? »
Florence Blankson, est productrice d’ananas bio au Ghana et elle assure depuis maintenant un peu plus d’un an la présidence du Fair Trade Ghana Network (FTGN), le réseau des coopératives certifiées équitables au Ghana. Ce réseau crée en 2013, réunit aujourd’hui 35 organisations paysannes certifiées équitables au Ghana. Dans cet interview, Florence Blankson rappelle l’importance pour les producteur.rices de se constituer en réseau et le plaidoyer indispensable en faveur d’une augmentation du prix du cacao.
Question : Pourquoi selon vous est-il important pour les coopératives et les producteur.rice.s agricoles du Ghana d’appartenir à un réseau national de producteurs comme le FTGN ?
Il est très important pour les coopératives certifiées équitables et leurs producteurs membres d’appartenir à un réseau national de commerce équitable, qui puisse témoigner des problèmes que le commerce non équitable engendre mais aussi proposer des alternatives positives. En grandissant, le FTGN est devenu petit à petit le porte-parole de ses membres au Ghana. Il négocie et dialogue avec les parties prenantes et les décideurs politiques pour s’assurer que les politiques publiques élaborées au Ghana vont dans le sens de plus d’équité dans le commerce.
Les coopératives membres de notre réseau sont attirées par les services que nous proposons tels que la mise en relation avec des acheteurs nationaux ou internationaux ou encore la formation sur les stratégies de diversification agricole pour diversifier les revenus des coopératives et atténuer les effets du changement climatique et.
Le plaidoyer du FTGN à destination des autorités nationales du Ghana constitue aussi une attente forte de la part des coopératives et des producteurs. Actuellement, le Fair Trade Ghana Network concentre ses actions de plaidoyer sur les 4 thématiques suivantes :
- Lutter contre l’expropriation foncière de producteurs de cacao et la destruction abusive de cacaoyères : Par exemple l’année dernière, des promoteurs indépendants ont pris possession de terres de producteur.rices de l’Union des coopératives de l’Ouest Akyem proche de la ville d’Asamankese. Cette coopérative a donc sollicité le FTGN pour accompagner la coopérative dans cette lutte des paysan.nes pour la défense de leurs droits et de leur territoire.
- Exiger de meilleurs prix du cacao pour les producteur.rices
- Inclure les agrumes dans le registre des cultures arboricoles pour pouvoir bénéficier de l’accompagnement de la Tree Crop Development Authority. Actuellement, seules les cultures de manques, hévéa, palmier à huile, la cajou, la noix de coco et le karité. Les agrumes en sont exclus ce qui pénalise les producteur.rices. Cette institution du ministère de l’alimentation et de l’agriculture permet aux producteur.rices de bénéficier de l’accompagnement technique agronomique et de plants résistants aux maladies actuelles et diversifier les variétés cultivées.
- Demander l’intervention du gouvernement pour éradiquer les maladies affectant les producteur.rices de mangues et notamment contre la Bacteria Black Spot (BBS), très contagieuse et qui ne peut s’éradiquer sans une approche globale à l’échelle du pays. Les efforts ne peuvent être faits uniquement par les producteur.rices et les coopératives. Il faut que l’état se saisisse de cette problématique si nous souhaitons des résultats durables.
Question : Que pensez-vous des actions de boycott menées ces dernières semaines par les gouvernements de Côte d’Ivoire et du Ghana sur le secteur du cacao ?
La question du paiement d’un prix plus équitable pour les fèves de cacao est une préoccupation clé de plaidoyer en faveur de laquelle notre réseau est engagé. Les producteurs de cacao se plaignent d’année en année de l’augmentation continue du coût des intrants agricoles et de la vie, avec en parallèle une augmentation très lente du prix du cacao payé aux producteur.rices.
En tant que réseau de producteur.rice.s, nous soutenons fermement ce boycott et pensons qu’il envoie des signaux forts à la communauté internationale et aux acheteurs. Le prix du cacao a augmenté de 21% pour la campagne 2022, mais même avec cela, nous pensons que l’augmentation aurait pu être plus importante. En octobre 2022, l’inflation atteint 40,4% au Ghana, ce qui implique que l’augmentation de 21% du prix du cacao pour 2022 est terriblement décevante et ne compense pas les pertes de revenus liés à l’inflation. Pendant combien de temps encore les producteurs de cacao seront-t-il contraint de vivre dans la pauvreté et ne jamais bénéficier de l’effort de son travail ? Cette situation conduit certain.es producteur.rices à envisager d’abandonner leur exploitation agricole pour envisager d’autres activités économiques plus rémunératrices.
Question : Vous êtes la première femme à être présidente d’une plateforme nationale de commerce équitable en Afrique de l’Ouest : comment envisagez-vous votre mandat politique sur cette question spécifique de l’égalité des sexes ?
Je suis très fière aujourd’hui d’être la dirigeante d’une organisation majoritairement composée d’hommes. Il n’y a pas de meilleure façon de souligner l’égalité des sexes que de démontrer, par la performance, que ce qu’un individu peut faire, un individu d’un autre sexe peut également le faire si on lui donne des chances égales.
Le fait d’avoir été élue présidente du FTGN, sans que ne se soit manifesté d’opposition, au sein d’un réseau très majoritairement masculin est un signe encourageant. Cela montre que les gens se concentrent désormais davantage sur la qualité et les compétences de leur leader plutôt que sur son identité de genre. Cela contribue aussi à mon sens à changer les représentations sociales en montrant que les femmes sont compétentes pour occuper des postes de direction et de leadership. Le fait d’être aujourd’hui la première femme présidente du FTGN depuis la création de notre réseau en 2013 est selon moi un bon indicateur d’accélération du leadership des femmes et de l’égalité entre les hommes et les femmes au Ghana !